Un texte pour Act-Up autour de trans' et Sida.
Il a fallu vingt ans de pandémie pour qu'une étude américaine établisse que la population
trans des USA avait été celle la plus touchée par le Sida. La moyenne de séroprévalence
dans cette communauté y est de 30% «un chiffre digne de l'Afrique subsaharienne»
note Poz magazine d'Août 2004, un hebdomadaire new-yorkais dévolu à la lutte contre le Sida.
Une autre étude montre également que ce taux peut atteindre 60% dans des micro-groupes comme celui des trans
de couleur se prostituant dans les rues de San Francisco. En Europe, la seule étude similaire à notre connaissance
a été faite au Portugal , par une association de défense des droits des trans. Les chiffres de séroprévalence
y oscillent entre 45 et 55%.
En France, il n'existe aucune étude de ce type sur cette population, à l'évidence menacée.
Qui a vécu dans ce petit milieu sait que les pertes y ont été lourdes, et que les personnes contaminées
y sont légion, et les nouvelles contaminations aussi. Mais la psychiatrie officielle joue la carte du déni.
L'équipe médicale parisienne, par exemple, affiche sur son site le chiffre de 700 «transsexuels»
déclarés depuis 1978 pour l'île de France...
L'obscurantisme médical français se fait complice de la pandémie. Les psys en charge du dossier ne comptabilisent que les «transsexuels» proprement dits, ayant subit une rectification chirurgicale après être passés dans leurs services. Ils oublient de comptabiliser les «transsexuels» qui ont fait fi de leur autorité et sont allés se faire opérer à l'étranger, pour revenir changer d'identité légale en France comme c'est possible depuis qu'en 1994 la cours européenne des droits de l'homme l'a imposée .
La psychiatrie française officielle ignore que depuis les définitions de Stoller, Benjamin et Hamburger dans
les années 50, tardivement importées ici, la psychiatrie moderne mondiale a évolué, ne limitant
plus la question trans au seul débat sur l'opération.
Aujourd'hui l'aile moderne de la psychiatrie internationale a élargi la question trans, comptant, à
côtés des «transsexuels», une autre population: les «transgenres», pourtant plus
nombreux, vivant dans une vie sociale opposée à leur sexe biologique sans pour autant vouloir un ré
assignement sexuel.
En changeant de définition nous passons de 700 personnes, l'estimation du service spécialisé de Sainte-Anne, à notre estimation: 60.000 sur toute la France. Un chiffre que nous ne pouvons donner que comme une estimation, faute de toute prise en compte scientifique de cette communauté en France. Nous obtenons ce chiffre en nous basant sur notre expérience de ce milieu, et sur des enquêtes faites dans des pays moins rétrogrades: une étude statistique faite aux Pays Bas donne une personne trans pour 11900 hommes et une personne trans pour 30400 femmes.
C'est chez ces 60.000 personnes qu'il y a toutes les chances de trouver en France un des plus fort taux
de Sida. Ce chiffre est un écho à d'autres chiffres catastrophiques quant au non emploi, au nombre
de personnes touchant le RMI ou la Cotorep, quant au taux d'échec scolaire chez les jeunes, quant au nombre
de personnes se prostituant ou faisant des séjours en prison, ou en asile psychiatrique. Et quid de l'espérance
de vie, du taux de suicides?
Nous pourrions légitimement nous en prendre au petit monde de la lutte contre le Sida en France pour son ignorance
volontaire ou involontaire des contaminations dans cette population particulièrement précarisée.
Nous pourrions nous en prendre également à l'intelligentsia des «gender studies» pour
qui les trans existent pour illustrer leurs débats universitaires, mais rarement quand elles affrontent le social
ou la maladie.
Nous préférons chercher des solutions plutôt que des coupables. Même si le noeud du problème,
ce taux de contamination qui double celui des homosexuels masculins, est la discrimination générale dont
souffrent les trans, et l'indifférence qu'elle rencontre.
Aux Etats-Unis c'est un homme trans gay, Louis Graydon Sullivan, qui a alerté le monde trans et le monde du Sida, qu'une part ignorée de la population américaine était en butte à la pandémie (il est mort du Sida en 1991). De la même façon que les trans femmes peuvent être lesbiennes, les trans hommes peuvent être gays. Et il se retrouvent devant la même problématique dans les rencontres. Tellement heureux d'être acceptés comme «homme» par un gays, qu'ils en négligent la prévention. On va retrouver la même attitude chez les trans femmes. La haine de soi doit aussi être prise en compte: la discrimination dont souffre les trans produit de la discrimination intégrée, de la haine de soi... Des individus plus vulnérables aux pratiques à risques.
L'accueil aléatoire voire discriminant des personnes trans: Trop de trans vont se faire dépister tardivement par peur de se faire discriminer dans les hôpitaux . Le «Monsieur c'est à vous!» et son corollaire «Madame» pour les hommes trans, qui de nous ne l'a pas expérimenté un jour ou l'autre en milieu hospitalier? Le Ministère de la Santé encourage ces pratiques, en refusant de changer les numéros 1 et 2 de la Sécurité sociale pour les faire correspondre à l'apparence et à la vie sociale des intéressés, permettant ainsi toutes sortes d'humiliation dans les files d'attente, ou lors de séjour médical prolongé, alors que dans beaucoup de pays civilisés ce probléme est réglé depuis longtemps (en Nouvelle Zélande, par exemple, après quelques mois passés dans son nouveau genre, une personne trans reçoit les papiers qui lui permettront de mener une vie normale).
Chez nous, la mise en infériorité du patient trans est le terreau de toutes sortes de mauvais traitements Il ne s'agit pas de faire le procès du corps médical, il est plutôt compréhensif dans son ensemble, mais quand une personne trans tombe sur un médecin ou une infirmière transphobe, la maltraitance n'est jamais loin.
Il y a d'abord l'abus verbal (qui peut justicier la violence verbale avec laquelle Lacan s'adresse à une patiente trans devant un public de jeunes médecins dans ses fameuses présentations de malade?), et de là on glisse à la négligence. Et cela peut aller plus loin, examens faits à la va-vite, diagnostics rendus en dépit du bon sens pour se débarrasser d'un patient qui dérange. Si vous pensez qu'un médecin diplômé est incapable de ces manques à la déontologie, regardez comment certains chirurgiens esthétiques ayant pignon sur rue et reconnaissance de la faculté ont pu utiliser les trans comme cobayes pour des opérations aux résultats aléatoires.
On sait qu'une trans sous traitement du VIH doit diminuer ses doses d'oestrogènes. Plusieurs sont mortes de ne l'avoir pas fait. Aucune étude pourtant n'existe sur cet effet secondaire. Le seul domaine où la médecine officielle a intégré le VIH des trans, c'est pour exclure les séropositifs et les séropositives des protocoles permettant aux transsexuels de faire opérer par les équipes officielles. Evidemment il est un stade de la maladie où une telle opération est dangereuse, mais ce qui compte c'est la charge virale, et sur beaucoup de sujets l'opération est viable, comme plusieurs communications médicales étrangères l'ont prouvé (communication de Sheila Kirk dans Transgender and HIV, 2000 Haworth Press). Voici établit une fois de plus l'inanité de tels protocoles, et leur caractère discriminatoire.
La psychiatrie française, avec l'OMS et le «lexicon» du Vatican, classe encore les trans au rang des malades mentaux (DSM-4), comme c'était le cas il y a vingt ans pour les homosexuels. Beaucoup d' homos ont oublié que cette classification permettait de les soumettre à toutes sortes de mauvais traitements pour les «guérir», (de la «thérapie d'aversion» aux lobotomies sans oublier les électrochocs). Cette classification reste une des clef du problème aujourd'hui, en octroyant à des spécialistes autoproclamés des droits abusifs sur la liberté des autres. Pour ce qui est de la prévention, comment attendre des conduites rationnelles de personnes étiquetées «malade mental»?
En même temps la psychiatrie française ne présente pas un front commun: chaque obédience de la psychiatrie française a sa théorie sur les trans, différente les unes des autres, et à l'intérieur de chaque obédience les avis divergent. Alors, qui suivre?
Stéréotype discriminatoire: Les noirs américains ont élaboré un concept intéressant,
celui de «stéréotype discriminatoire». Beaucoup de ces stéréotypes
sont infligés aux trans, par exemple celui qui veut que les trans doivent forcément incarner l'image
la plus aliénée de leur nouveau sexe, l'homme-trans macho et femme-trans soumise, englués dans
les signes les plus arriérés de la masculinité ou de la féminité sociale.
Mais le stéréotype qui fait le plus mal aux trans c'est celui qui laisse entendre que le seul métier
que voudrait faire une femme-trans, c'est celui de prostituée. Beaucoup de trans-femmes se prostituent, beaucoup
trop quand on sait que la plupart n'ont pas choisi cette vie, si dure, si dangereuse. Le pire de l'aliénation
c'est quand elles-mêmes sont persuadées que la prostitution c'est leur destin et qu'elles
n'auraient pu rien faire d'autre. En trente ans la situation des trans en France a évolué. Ce
qui paraissait impossible il y a cinquante ans, l'est moins aujourd'hui. Le monde du travail s'ouvre
peu à peu aux trans. Les syndicats défendent ceux et celles qui veulent effectuer leur transition sur leur
lieu de travail, même s'il y a trop de rejets. Mais, en amont qui parle du problème de l'échec
scolaire chez les jeunes trans? C'est valable pour les garçons et pour les filles, rejetés de l'école,
de l'université, faut-il s'étonner si les trans prennent le chemin de la marginalité,
pour les filles trans celui de la prostitution?
Pourtant, depuis quelques années des avancées sociales permettent aux trans de subvenir à leurs besoins sans se prostituer. Le RMI, la COTOREP ont démontré que beaucoup qui se prostituaient le faisaient contraintes et forcées, et qu'elles préféraient vivoter avec une maigre pension que de se prostituer.
En fait on doit distinguer deux groupes dans la population des femmes trans en France: celles qui se prostituent, celles
qui ne le font pas.
Pour la prévention, l'avantage de la prostitution et particulièrement celle de rue, c'est qu'on
peut délimiter un terrain de chasse, zones urbaines où à la périphérie des villes,
où des équipes peuvent aller les voir, leur fournir du matériel de prévention et de l'information.
Pour celles qui travaillent en appartement, elles fréquentent des messageries téléphoniques ou des
sites Internet, ou minitel, passent des annonces dans des journaux spécialisés, où là encore,
pour peut qu'on le veuille on peut diffuser de l'information.
Celles qui ne se prostituent pas sont beaucoup plus difficiles à joindre, même si beaucoup peuvent aussi
fréquenter des messageries pour leur pur plaisir. Elles ne doivent pas être les oubliées de la prévention.
Elles sont disséminés dans tout le pays, avec peu d'espaces de rencontre: quelques liens Internet,
des associations.
Une trans française, qui a bénéficié d'un minimum de parcours éducatif, n'a pas forcément les mêmes intérêts qu'une trans migrante ne maîtrisant pas la langue de son pays d'accueil, venant de pays où la répression peut être très dure. Il faut remarquer que l'antagonisme est dans les deux sens: une trans prostituée migrante, dont le travail sexuel permet de nourrir sa famille (qui joue le chantage «tu nous envoies de l'argent et on t'accepte») va difficilement se reconnaître dans les revendications de droit au travail d'une trans de la communauté européenne.
Le chiffre de 30% que nous avons avancé au début de ce texte, même si il n'est pas communiqué, existe en France. C'est celui que l'on va trouver dans une association subventionnée, surtout spécialisée dans l'aide aux prostituées migrantes. Mais cette association ne communique que ses chiffres à la DAASS, et refuse de les rendre publiques «pour ne pas stigmatiser les filles». On retrouve ici les pires erreurs des débuts de l'épidémie en France, quand certains ne voulaient pas qu'on parle de cette nouvelle maladie «pour ne pas discriminer les gays». Oui, la reconnaissance du Sida des trans. va être la cause de discriminations supplémentaires pour une population qui en connaît déjà beaucoup, mais ne pas en parler c'est se faire les complices de l'épidémie. On s'étonne que certains officiels de la lutte contre le Sida aient la même attitude, avouant savoir que cette population est particulièrement touchée mais refusant de publier leurs chiffres «parce que s'ils savaient les gens iraient prendre leurs carabines et iraient les tuer».
Nous voulons informer dans les deux sens. Informer les trans en France qu'elles et ils se protégent, et protègent leurs partenaires. Qu'elles et ils comprennent que la maladie qui les frappe s'inscrit dans le collectif et pas dans le singulier. Qu'il faut plus se protéger, moins se laisser aller. Que ce n'est pas une fatalité.
1) Etablir une étude épidémiologique: avec l'aide de quatre hôpitaux qui traitent le VIH afin qu'ils nous donnent le nombre de patients trans suivis, pour une des pathologies suivantes: VIH HB BC.
2) Ecrire une circulaire pour l'accueil des trans (on ne veut plus qu'un trans se fasse appeler madame, qu'une trans se fasse appeler monsieur dans un bureau officiel). Une plaquette pourrait être réalisée publiant la charte d'accueil des personnes trans en milieux hospitaliers dans le cadre du respect du droit des malades.
3) Informer sur les cas d'infection par échange d'aiguilles d'hormones et d'injection de silicone (que nous désapprouvons, car cela exige un suivi médical).
4) Rendre les hormones en vente libre et remboursées, casser le marché noir des hormones injectables.
5) Abroger le 1 le 2 à la sécu et faciliter les changements de prénom et d'état civil.
6) La dépsychiatrisation des trans.
7) Une campagne de prévention vers les trans serait aussi une campagne pour leur intégration dans la vie sociale française. Elle pourrait aussi atteindre ceux qui les aiment. Ils sont beaucoup plus que les trans eux-même, souvent mariés, pères de famille.
8) Régularisation des personnes trans migrantes et sans papiers
Depuis vingt ans de pandémie, les trans ont été les oubliés de la pandémie. Avons-nous droit à autre chose que le voyeurisme ou l'indifférence?
Helene et Axel Act Up Paris
Mis en ligne le 07/11/2005.