Comme, parmi les commentaires qui concernent mon intervention, vingt-sept émanent de la même personne et tout en remerciant cet interlocuteur de l’intérêt qu’il porte à ce débat, je crois plus judicieux, pour éviter des redondances, de regrouper mes réponses, que je limiterai aux aspects qui me semblent, tout à fait subjectivement, les plus pertinents. En outre, une bonne partie de ces commentaires ne comportent que des questions de pure forme, et donc n’appellent pas nécessairement une réponse spécifique; ce forum aura en tout cas donné l’occasion à cet interlocuteur de développer ses points de vue, ce qui en était l’objectif principal.
Patricia Mercader
Si vous parlez de continuums, et surtout de la complexité, pour chaque individu, de la dynamique identificatoire par laquelle il se situe subjectivement sur ces continuums, alors je suis tout à fait d’accord, à ceci près que, comme je l’explique dans mon texte, nous sommes obligés de “faire avec” les caractéristiques de la reproduction sexuée dans notre espèce, et avec l’aspect particulier que la bipédie confère à notre anatomie. Cependant, s’il s’agit de remplacer un système de bicatégorisation (ex., homo vs hétéro) par un système en plusieurs classes comme vous le faites (vous ajoutez bisexuel et asexuel), je ne vois pas l’intérêt.
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Plusieurs questions portent sur la normalité, qu’on définit classiquement de deux façons: soit la définition est statistique (ce qui est le plus fréquent) soit elle est normative (ce qu’une société impose). Dans notre société hyper-médicalisée la “santé” se présente comme une norme, mais ce n’est pas le cas partout (et en tout cas ce n’est qu’au prix de renoncer à la définition statistique, car d’expérience, rien n’est plus rare que la “santé”!). Pour Freud, la normalité, essentiellement inatteignable, pourrait se définir comme une névrose bien tempérée, c’est-à-dire être en conflit avec soi-même sans que ce conflit nous empêche, c’est son mot, “d’aimer et de travailler”; c’est donc une définition par défaut, très ouverte, et passablement pessimiste, qui implique pour chacun d’entre nous un travail d’équilibrage constant, fragile, toujours remis en cause par les épreuves de la vie. De toute façon ce n’est pas un terme que j’emploie... je pense plutôt que les gens ne sont “normaux” que de loin, dès qu’on s’approche, ils le sont beaucoup moins!
Dans le contexte, la question de la normalité porte évidemment sur les aspects sexuels. Ce qu’on peut dire, toujours chez Freud, c’est que l’hétérosexualité, pour prescrite qu’elle soit par la société et les nécessités de la reproduction, est une construction psychique difficile, aléatoire, dont les processus doivent, comme ceux qui conduisent à des positionnements plus rares, être élucidés (donc, la question de savoir «pourquoi je ne suis pas trans’» est parfaitement légitime, bien que peu passionnante pour d’autres que moi-même et mes proches!). De plus, l’hétérosexualité ne garantit absolument pas une quelconque “normalité” ou “santé psychique”, comme l’expérience quotidienne de n’importe qui le démontre amplement.
Quant à l’homosexualité sur laquelle on me demande de me prononcer, comme je n’ai pas particulièrement fait de recherche à ce propos, ma réponse ici ne peut être que tout à fait personnelle. De nombreux chercheurs psychologues soutiennent que l’homosexualité, comme l’hétérosexualité, peut survenir dans toutes les formes de structuration psychique: névrose, psychose, perversion ou état-limite (je rappelle que la “normalité”, chez Freud, c’est la névrose...), et ce point de vue correspond bien à mon expérience personnelle et clinique. Je dirais que l’homosexualité est la solution trouvée par certains pour sortir des impasses auxquelles ils ont été confrontés dans leur enfance, sachant que tous, nous sommes confrontés à certaines impasses et devons trouver des solutions pour en sortir. La question de savoir si l'hétérosexualité est “préférable” à l'homosexualité me semble absurde: de quoi parlons-nous? Vaut-il mieux être homosexuel en couple raisonnablement harmonieux, ou hétérosexuel incestueux et violent? homosexuel anorexique ou hétérosexuel toxicomane? privé d’enfants par le sexe de ses partenaires ou par une malformation de ses organes génitaux? hétérosexuel malade du SIDA ou homosexuel cancéreux? Ce type de raisonnement est vicié du départ, car, sur le plan psychologique, homosexuel et hétérosexuel sont des catégories en grande partie fictives, qui ne résument absolument pas la personnalité, l’histoire et les souffrances ou les joies d’un être singulier. Bien sûr, le fait de devoir s’affilier à une catégorie socialement discriminée crée des difficultés particulières, mais c’est une autre question.
J’aurais néanmoins un mot à dire sur ce que je pourrais appeler la “position identitaire”: nous sommes tous (vous, moi, tous...) désespérément ignorants de ce que nous “sommes”, en conflit avec nous-mêmes, conflits d’instances ou d’identifications; la position identitaire consiste à colmater cette douloureuse incertitude avec des habits, armures, d’emprunt: homme viril ou femme féminine, homo ou hétéro, femme de..., prof. de fac., trans’, etc., toute sorte d’“antalgiques sociaux”, si l’on me passe l’expression; la position identitaire, c’est lorsque l’identité tente de désigner “en plein” une blessure impossible à nommer, mais qui est son véritable objet. Impossible de s’en passer tout à fait, bien sûr, mais ne vaudrait-il pas mieux nous souvenir que l’empereur est nu?...
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Transsexualisme et IVG.
L’analogie avec l’IVG est trompeuse: le problème, dans la situation du transsexualisme, n’est pas la «libre disposition du corps», mais l’accession à un statut de genre en dehors des processus qui la légitiment habituellement. D’où une polémique, implicite et explicite, sur la “vérité” du genre qui n’a aucun équivalent dans la question de l’IVG.
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Suppression de la mention du sexe sur l'acte de naissance pour tous, de l'arrêt de l'assignation dans un sexe?
Pourquoi pas? Mais je pense qu’il y a un abîme entre «la suppression de la mention du sexe sur l'acte de naissance pour tous» (inscription institutionnelle) et «l'arrêt de l'assignation dans un sexe» (fin d’une pratique sociale quotidienne et complètement fondatrice de nos identités sociales les plus intimes et fondamentales).
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Sur la question du respect dû aux transsexuels.
Je pense qu’il y a une grande différence entre ce qui s’impose éthiquement au psychologue dans ses écrits et dans une rencontre singulière. Dans les écrits, qui portent soit sur des témoignages publiés, soit sur des relations rendues anonymes dans le texte, mon choix de genre vise à rendre compte d’une trajectoire, en privilégiant, non pas un sexe biologique, mais le point de départ, l’origine d’un parcours, qui seule permet d’en comprendre la courbe unique: quand il s’agit de rechercher des explications, il me semble impossible de faire abstraction du sexe dans lequel ces personnes sont nées et surtout ont été élevées, aussi impossible que de réécrire l’histoire. Bien entendu, ce n’est pas le seul choix possible et certains de mes collègues s’y prennent autrement. En revanche, il va de soi que dans la rencontre avec des transsexuel-les adultes, donc à l’issue de ce développement troublé, et surtout quand le corps social tout entier a validé leur démarche par des traitements médicaux et chirurgicaux et un changement d’état-civil, il en va tout à fait autrement. En outre, ce qui est possible dans des textes ne se justifie pas dans les rencontres réelles où cette question s’élabore au fil de l’échange, dans un espace psychique partagé; dans la rencontre avec des transsexuel-les, je trouve aussi impossible que dénué de sens, à partir d’un certain moment, de faire violence à leur identité, et il arrive aussi que j’en vienne à partager, au moins dans une certaine mesure, le point de vue de mon interlocuteur sur lui-même... sans pour autant oublier l’histoire...
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Sur la question de la psychiatrisation et de la validité des hypothèses psychanalytiques je me contenterai de quelques éléments.
- Juger, nommer et discriminer ne sont pas des synonymes. Il est vrai, et c’est une difficulté, que les termes de pervers, hystérique, psychotique, sont utilisés comme des insultes dans la langue profane, alors qu’ils désignent des “styles” de personnalité, sans jugement de valeur en principe, dans le langage scientifique de la psychologie. D’où des confusions pénibles, et pas simples à éviter toujours.
- Sur la question de la preuve: comme je l’explique dans le passage de mon texte cité aux questions 13 et 14, la clinique permet de formuler des hypothèses a posteriori sur des situations singulières, et ne peut qu’avec la plus extrême prudence se permettre les généralisations. Il faudrait donc toujours dire (et c’est vrai que les auteurs, dont je me compte, n’en prennent pas toujours suffisamment la peine): hypothèse concernant cette personne-là, cette situation-là... Et dans ces conditions nous sommes à même d’argumenter, sinon de prouver au sens expérimentaliste du terme, nos assertions.
- Sur la question des dynamiques familiales et de leur rôle dans le transsexualisme, le malentendu réside dans le passage (abusif, à mon avis) de l’idée que nous sommes identifiés par nos parents à celle que ce que nous sommes est «la faute des parents». Moi je ne parle pas du tout de «faute», mais étant donné l’état de prématurité et de dépendance dans lequel naissent les bébés humains, il semble impossible de penser qu’ils peuvent se développer sans référence aux projections et conflits psychiques inconscients (j’insiste, inconscients) de leurs parents. Cependant, j’aurais peut-être dû ajouter que les enfants font quelque chose du désir parental qui porte sur eux: ils s’y plient, le devancent, le combattent, le nient... Pour être assujettis, ils ne sont pas passifs, loin de là, et heureusement!
- Je ne pense pas du tout que la clinique a force de loi en France. Nous assistons à des conflits de discours, à des luttes d’influences entre différentes approches, à des alliances mouvantes aussi, ce qui est différent.
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Comme, parmi les commentaires qui concernent mon intervention, vingt-sept émanent de la même personne et tout en remerciant cet interlocuteur de l’intérêt qu’il porte à ce débat, je crois plus judicieux, pour éviter des redondances, de regrouper mes réponses, que je limiterai aux aspects qui me semblent, tout à fait subjectivement, les plus pertinents. En outre, une bonne partie de ces commentaires ne comportent que des questions de pure forme, et donc n’appellent pas nécessairement une réponse spécifique; ce forum aura en tout cas donné l’occasion à cet interlocuteur de développer ses points de vue, ce qui en était l’objectif principal.
Une mise au point d’abord: je ne suis pas psychanalyste, mais spécialiste en psychologie sociale, comme je l’indique clairement dans ma conférence. Par conséquent, je ne suis pas la mieux placée pour “défendre” la psychanalyse, et encore moins pour faire des pronostics sur son évolution possible ou probable. De même, le livre que j’ai publié il y a dix ans, je le rappelle, est essentiellement une histoire des idées et des notions (comme le texte de ma conférence) où je présente et analyse divers discours scientifiques ou profanes, contradictoires entre eux (encore une fois comme je le fais dans ma conférence). Ma lecture de cette histoire des idées n’a pas fondamentalement changé depuis lors, mais sans doute l’aurais-je aujourd’hui formulée un peu différemment. En tout cas, j’aurais pris en compte des éléments politiques qui sont apparus après la date où je l’ai écrit: les alliances du type GLBT (mouvements qui regroupent, ce qui était bien plus exceptionnel il y a dix ans, des homosexuels et des transsexuels), le mouvement queer, le débat autour du PACS puis du mariage homosexuel, et de façon plus spécifique la façon dont les “psys” ont pris position dans l’espace social sur ces questions...
Mis en ligne le 04/10/2004.