Joseph Doucé, (1945-1990), pasteur baptiste, psychologue et homosexuel, fonde le Centre du Christ Libérateur (CCL) le 10 octobre 1976 destiné à accueillir les minorités sexuelles (homosexuels (gais et lesbiennes), travestis, transsexuels, sadomasochistes, pédophiles). La même année, le CCL, s'ouvre aux juifs homosexuels qui fonderont le Beit Haverim (la Maison des Amis).
Le pasteur Joseph DOUCÉ est né à Saint-Trond dans les Flandres belges dans une famille de paysans pauvres et catholiques. Passionné par les études, il se tourne vers la carrière religieuse pour poursuivre ses études et échapper à une vie paysanne qui ne lui convient pas. Il fait son service militaire dans un régiment francophone afin d'apprendre le français. Après le néerlandais et le français, il fait des séjours afin d'apprendre l'allemand, l'anglais et l'italien. Il sait qu'il est homosexuel. Il vit en France depuis 1964. En 1967, il quitte l'Eglise catholique pour devenir baptiste et devient pasteur après une formation en Suisse. De 1970 à 1974, il s'occupe des paroisses de Lens et de Béthune. Passionné de sexologie, il va devenir psychologue. Il souhaite fonder un centre de secours aux minorités sexuelles défavorisées. De 1974 à 1976, il étudie à l'Université Libre d'Amsterdam (protestante) les problèmes pastoraux et psychologiques des minorités sexuelles, en particulier ceux des homosexuels et des transsexuels grâce à une bourse que lui a accordé le Conseil Oecuménique des Eglises (Genève). En 1975, il fait un stage en hôpital psychiatrique à Amsterdam. A la fin de ses études, il obtient le diplôme de formation pastorale des cliniques de Hollande. Le Conseil Oecuménique qui regrette, à cause du refus de la Fédération Protestante de France, de ne pouvoir soutenir le projet de DOUCÉ lui conseille de s'adresser à la Hollande. Elle se séparera de lui avec regret. Joseph DOUCÉ obtient de la Hollande les fonds nécessaires à son entreprise. Il renonce à ses paroisses pour se consacrer à son oeuvre définitive grâce aux fonds accordés par la Hollande, «en vue d'un pastorat en faveur des minorités discriminées». Les débuts du CCL, (Centre du Christ Libérateur), à Paris, ne sont pas faciles. La seule salle que DOUCÉ arrive à trouver est un théâtre pornographique, d'où son surnom de “pasteur porno”. Là il peut ouvertement accueillir des minorités sexuelles à un office religieux. Selon les baptistes les plus radicaux, l'évangile peut être annoncé partout, aussi bien dans un temple que dans une salle de théâtre porno. Cette façon de voir n'est pas très compatible avec la mentalité française.
Pourtant très rapidement, le CCL reçoit le concours de nombreux collaborateurs parmi lesquels plusieurs avocats, médecins, psychologues, pasteurs et prêtres, etc... qui contribuent à son développement. Le CCL a de très nombreux contacts à l'étranger parce que les membres de son conseil d'administration résident aux Pays Bas, en Allemagne, Israël, Espagne et France et aussi parce que le CCL participe de multiples manières à des organisations nationales et internationales.
En 1978, Joseph DOUCÉ emménage le CCL au 3 bis rue Claireau dans le 17ème arrondissement de Paris. Le Centre, ouvert aux homosexuels, s'élargit aux transsexuels, travestis, sadomasochistes et aux pédophiles. Il créé le bulletin Ilia (Il libère, Il aime).
Le CCL de Joseph DOUCÉ est membre fondateur de l'International Gay Association qui regroupe une centaine d'associations dans le monde, de l'International Lesbian Information Service et du Forum des Groupes Chrétiens Gais d'Europe. Le CCL est également membre de la Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association. (Je n'ai malheureusement pas les dates des diverses activités de Joseph DOUCÉ.)
Joseph DOUCÉ obtient sa naturalisation française en 1982.
Il crée une maison d'édition Lumière et Justice, sous le régime de la loi de 1901, organisation à but non lucratif. Il y publie entre autres: La question transsexuelle en 1986, Couples homosexuels et lesbiens: juridique et quotidien en 1987, La pédophilie en question en 1988 et Le sadomasochisme en question en 1989.
Parmi ses activités pastorales, Joseph DOUCÉ fait des “bénédictions d'amour et d'amitié” des couples, qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels. La presse à scandale parle de “mariages gays”. Contrairement aux catholiques, les protestants ne considèrent pas le “mariage religieux” comme un sacrement. La coutume des “bénédictions d'amour et d'amitié” existe depuis au moins les années 60 chez les protestants, pour les couples homosexuels comme pour les couples hétérosexuels.
Par ailleurs, Joseph DOUCÉ est l'un des premiers à alerter à propos du Sida, dont on parlait à peine, après avoir assisté à la conférence de l'International Gay Association (devenue International Lesbian and Gay Association).
1987, année où j'ai rencontré Joseph DOUCÉ et le CCL que j'ai fréquenté jusque à la fin, en 1990. Il y avait deux ans que j'avais les coordonnées du CCL que j'avais trouvé dans un livre sur l'homosexualité que m'avait prêté un ami. Il y avait quelques pages sur la “transsexualité”. A l'époque, j'avais 25 ans, je me considérais comme un monstre, un anormal, je me sentais coupable et j'avais honte. Après l'échec d'une tentative de psychothérapie pour changer mon sentiment d'être un homme, j'ai joint le CCL. Quand j'ai appelé, c'est Joseph DOUCÉ qui a répondu. Je bégayais tellement j'avais peur de dire l'objet de mon appel. Quand j'ai réussi à lui dire que je voulais devenir un homme, il a ri et m'a rassuré. Pour la première fois, je ne me sentais pas jugé, on me prenait tel que j'étais. Après avoir raccroché, je me suis senti plus léger. J'avais rendez-vous quelques jours plus tard, un samedi. Par la suite j'ai fréquenté le CCL dont je suis devenu membre. Je n'ai rencontré que trois autres garçons comme moi et quelques dizaines de filles. Le premier garçon est parti à l'étranger et je ne l'ai revu que quelques années plus tard. J'ai revu le second en dehors du CCL qu'il fréquentait assez peu durant cette période de septembre 1987 à fin 1990. Je n'ai rencontré le troisième que vers fin 1988. Nous nous sommes aussi vus quelques fois en dehors. J'ai fréquenté le CCL, un peu moins assiduement en 1989-1990. J'y étais très souvent le seul garçon trans'. J'y ai aussi rencontré l'une de mes meilleures amies qui devenait femme.
Les réunions des divers groupes (homo, lesbien, trans', sadomaso,
pédophile) étaient ouvertes à tous. Il y avait également
des repas pris en commun toutes les semaines. Un mardi par mois il y avait
une réunion qui était plus spécifiquement ouverte
aux transvestiEs et transsexuelLEs, il y avait une dizaine de participantEs.
On y parlait de tout et on s'échangeait les bonnes adresses. Le
5ème samedi du mois, (soit 4 samedi par an), un repas transvestiEs
et “transsexuelLE” était pris en commun autour de la
longue table.
A propos des pédophiles, il disait «si
je ne les accueille pas, qui va le faire?». Effectivement,
il était le seul à le faire à l'époque.
L'homme a son caractère, il n'est pas exempt de défaut (qui n’en a pas?). Il ne se cache pas de son homosexualité qu'il assume parfaitement. Il dérange par ses nombreuses activités, il remue trop le linge sale. Il a 20 ans d'avance et comme tous les précurseurs, il heurte les rigidités, les résistances aux changements. Il est apprécié pour ses qualités et ses actions. Bien évidemment, il a ses détracteurs. Non, il n'était pas pédophile comme ont pu le dire ou l'écrire certains médias. Il offrait un lieu d'accueil, de discussion, d'échange, et pour ceux qui le souhaitaient un lieu de prière.
Joseph DOUCÉ est membre de la Commission des liberté au Sénat. Le 12 septembre 1989, il fait voter par le Parlement Européen une Résolution sur la discrimination dont sont victimes les transsexuels. Résolution qui condamne les discriminations à l'égard des transsexuels.
Le 29 septembre de la même année, la Recommandation 1117 (1989) de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe relative à la condition des transsexuels, est votée. Recommandation dite “rapport Rodota”, qui appelle les Etats membres à rectifier les états-civils (sexe et prénoms) des transsexuels “irréversibles”.
Joseph DOUCÉ et Guy BONDAR ouvrent la librairie Autres Cultures dans le 17ème arrondissement de Paris. On y trouve des ouvrages, (livres scientifiques, essais, romans, poèmes), concernant les minorités dont Joseph DOUCÉ s'occupe.
Le 19 juillet 1990 vers 20h30, le pasteur Joseph DOUCE disparaît après que deux policiers soient venus le chercher. Le 24 octobre 1990, on retrouvera son corps nu, dans une décomposition avancée, dans la forêt de Fontainebleau[1].
En quoi et pour qui Joseph DOUCÉ était-il menaçant? Quels enjeux se cachent derrière son assassinat? La police (les Renseignement Généraux en l'occurence) y est-elle mêlée? Qui sont les commanditaires? Quand donc, dans ce pays, la France, pourrons-nous affirmer «je crois en la justice de mon pays»? Malheureusement, il n’y a pas que l’affaire DOUCÉ qui soit dans ce cas d’injustice!...
Pour en savoir plus, voir D'EAUBONNE Françoise,
(1990), Le scandale d'une disparition. Vie et oeuvre du Pasteur Doucé,
Editions du Libre Arbitre, 115 p.
Biographie du pasteur Joseph DOUCÉ, l'un des premiers à
aider les minorités sexuelles et de genre (LGBT) et les suites
de son assassinat. La justice française ne fait pas son œuvre...
Voir aussi VIOLET Bernard, (1994), Mort d'un pasteur, (Enquêtes),
Paris: Fayard, 301 p.
Une excellente enquête sur l'assassinat du pasteur homosexuel Joseph
DOUCE qui reprend toutes les hypothèses en partant des faits connus.
Le lecteur se fera sa propre opinion, car aucune des thèses n'est
privilégiée par l'auteur.
Le 19 juillet 2000, le Pasteur Caroline BLANCO, qui a repris le CCL, a invité les associations et les personnes qui avaient connu le Pasteur Joseph DOUCÉ à participer à une commémoration pour les 10 années de sa disparition. Nous étions une quinzaine de personnes pour évoquer sa mémoire. Parmi les présents, quelques uns ne l'avaient pas connu. Pour les Baptistes, on ne fait pas de messe car les morts sont en paix. Les commémorations servent pour les vivants qui eux ne sont pas en paix. Cela est d'autant plus vrai que la lumière sur la mort de Joseph DOUCÉ n'est toujours pas faite. Comment guérir d'une blessure qui reste ouverte? Visiblement nombre de ses proches ont été choqués, voire traumatisés par les événements, et le restent par l'attitude de la justice. Les discours des personnes en témoignent. Merci à Caroline pour l'organisation de cette commémoration et ses informations.
De sa disparition brutale, naîtront à Paris des associations spécifiques pour les transsexuels, (ASB et CARITIG).
Pour mémoire, notons la déclaration l'AMAHO (Association des MAlades HOrmonaux) dans les années 60, de l'AMEFAT (Association Médicale Française d'Aide aux Transssexuels) basée à Saint-Etienne, à la préfecture de la Loire, le 30/07/1981, celle de l'AAT (Association d'Aide aux Transsexuels) située à Marseille, à la préfecture des Bouches-du-Rhône, le 04/12/1992, et celles de l'ASB (Association du Syndrome de Benjamin), le 10/04/1994, puis du CARITIG (Centre d'Aide, de Recherche et d'Information sur la Transsexualité et l'Identité de Genre), le 23/01/1995, et enfin du PASTT (Prévention, Action, Santé, Travail pour Transgenres), en 1996, toutes à la préfecture de Paris. En fait PASTT est le nom du programme de prévention de l'association Trans World. Le programme PASTT a été créé en 1992 par l'association Aides Fédération avant de devenir une association autonome en 1996.
[1] Assassiné mystérieusement en 1990, l'affaire est close sans que la lumière ait pu être faite. Nous ne saurons jamais ce qui s'est réellement passé...
Mis en ligne le 04/12/2003. Mis à jour le 06/12/2008.